Une affaire d'hommes
C'est une affaire d'hommes.
J'ai toujours vu les hommes de ma famille s'en occuper vaillamment, pendant que les femmes étaient en cuisine.
Vingt ans plus tard, cette scène s'est tout naturellement déroulée sous mes yeux : pendant que je coupas des tomates, mon ex-mari s'affairait dans le jardin de chez ses parents. Je le regardais de la fenêtre, ma belle-mère préparait une mayonnaise. Chez eux aussi, c'était la base : les femmes en cuisine, les hommes.. au barbecue.
Je n'ai presque jamais eu le droit d'y toucher. Quand j'étais petite, il ne fallait pas que je me brûle. Quand j'étais grande, il ne fallait pas que je brûle les brochettes. Et puis je devais surveiller les enfants, être mère, surtout ne pas prendre la place de l'homme. C'était important, de rester à sa place.
Mais voilà, le Bon Dieu est ironique : pour le premier logement que j'habitais seule, Il m'a donné une maison. Avec ce fameux grand jardin à tondre. C'était drôle, après une vie en appartement, de goûter enfin à la joie du jardin. Et pour moi qui n'aime pas perdre mon temps à bronzer mais qui aime vraiment beaucoup les merguez, la meilleure manière d'y goûter c'était de pouvoir faire un barbecue.
Ce fut un de mes premiers achats.
On l'a monté bravement avec Petit Roi, 8 ans, l'homme. Je passe sur le temps que ça nous a pris, je passe aussi sur le fait qu'un an plus tard il lui manque une roue qu'on n'arrive pas à remettre, et qu'il a une allure nettement plus rouillée.
La première fois que j'ai acheté des grillades chez le boucher, et qu'il a fallu l'allumer, je vacillais. A croire que je n'avais jamais été scout. Voilà où j'en suis arrivée, trembloter devant un barbecue, se penser incapable de réussir à faire un feu, avoir perdu absolument toute notion de confiance et de capacités, jusqu'à avoir peur d'un fichu barbecue. Je ne sais pas si l'on peut mesurer ce que ça m'a coûté de l'allumer ni la joie hystérique de prendre en photo mes premières saucisses se dorant la chair au-dessus du charbon de bois.
Un an et quelques séances barbecue plus tard, c'est toujours la même joie. D'avoir un jardin. D'avoir un barbecue. De savoir m'en débrouiller.
Je prends toujours la même photo, je l'envoie toujours aux mêmes amis ( vous en avez marre, je sais, bisous ). J'ignore combien de temps cela durera, mais je suis pétrie de fierté d'avoir franchi la ligne, entre la cuisine et le jardin.